Élégance et délicatesse avec l’Anglaise

par Serge Cortesi

    L’écriture italique, qui trouve son origine avec la Cancellaresca italienne (ou Chancellerie), est un style dont le succès va perdurer, mais aussi se renouveler. En effet, la cursivité, due à une main libre et relâchée, est propice à la créativité. Dans ce cheminement, la Cancellasresca est suivie de la Bâtarde italienne, qui, elle-même, donne naissance à l’Anglaise au XVIIIe siècle. Pour expliquer cette évolution, la taille de la plume joue un rôle prépondérant. Depuis l’Antiquité, la plume à bout carré détermine les placements des pleins (traits épais) et des déliés (traits fins). Pour l’Anglaise, l’extrémité du bec de la plume d’oie, devenu pratiquement pointu, modifie quelque peu le principe du tracé. En caressant le papier avec l’extrémité du bec, on obtient un trait filiforme, puis, en pressant sur la plume, le bec (fendu) s’écarte, ce qui permet d’obtenir le plein. Nous avons, dès lors, une écriture dite à pression.

C’est ainsi que nous parvenons à la singularité de l’Anglaise, graphie synonyme de délicatesse et d’élégance.

 

    Dans le processus qui a favorisé l’éclosion de ce style, l’influence des maîtres néerlandais aux XVIe et XVIIe siècles est incontestable. Ils sont considérés, à cette époque, comme les plus grands virtuoses de la calligraphie. Il suffit de voir les merveilleuses planches du grand Jan Van den Velde pour s’en convaincre. Les compositions ornées d’arabesques éblouissantes ont assurément inspiré les maîtres anglais. Ambrosius Perling, à la fin du XVIIe siècle, maître-écrivain à Amsterdam, calligraphe remarquable et auteur de nombreux livres, est considéré comme un des premiers initiateurs de l’Anglaise.

 

    Par la suite, de nombreux maîtres britanniques contribuent à la généralisation de l’Anglaise. Nous pouvons citer Charles Snell (1667-1733), John Clark (1683-1736) ou George Bickham avec son fameux The Universal Penman, publié en 1741, et qui affirmait que pour le développement d’une entreprise, l’écriture était un élément indispensable « Une écriture simple, forte et nette répond à la fois aux besoins utilitaires et aux impératifs de l’esthétique ; dans les milieux d’affaires, elle est donc tout particulièrement appréciée. » Pour l’impression des livres modèles, l’adoption de la gravure sur cuivre, qui autorise la reproduction des traits les plus fins, est décisive. Cette technique supplante la gravure sur bois, procédé plus rudimentaire employé du temps de Palatino.

Révolution industrielle

    La diffusion de l’Anglaise va de pair avec la suprématie britannique sur le commerce mondial. En effet, grâce à une série de lois protectionnistes votées dès 1651 (pendant le mandat de Cromwell), elle réserve à ses navires le monopole du commerce avec les colonies.

 

    La révolution industrielle qui s’ensuit et sa formidable expansion au cours du XIXe siècle emportent la plume d’oie au profit de la plume métallique. Les fondateurs de cette industrie sont Joseph Gillot et John Michell. À la fin du XIXe siècle, les fabriques de Birmingham produisent annuellement un nombre considérable de plumes qui sont vendues dans le monde entier. Il s’agit là du premier produit prêt à l’emploi et jetable de l’ère industriel.

 

    Aujourd’hui, naturellement, le rôle utilitaire de l’Anglaise a disparu. Pourtant, cette écriture évoque toujours le raffinement et son succès ne se dément pas, que ce soit pour des cartons d’invitations ou des créations graphiques.

Ses qualités esthétiques et ses possibilités ornementales lui donnent un pouvoir onirique comme nulle autre graphie. Calligraphiée, redessinée, interprétée par les calligraphes contemporains, elle n’en finit pas de s’adapter au goût du jour et de se réinventer.

Documentation

JACKSON Donald, Histoire de l’écriture, Denoël, Paris, 1981.

 

MEDIAVILLA Claude, Calligraphie, éd. Imprimerie nationale.

 

Joyce Irene WHALLEY, Vera C. KADEN, The Universal Penman, Catalogue of an exhibition held at the Victoria and Albert Museum, London, 1980.

 

JESSEN Peter, Masterpieces of calligraphy, Dover, New York, 98.

 

BICKHAM George, The Universal Penman, engraved by George Bickham, Dover, New York, 1981.